Il y a un gros malentendu sur les émotions…⚠️
Et c’est peut-être ce qui fait que, en dépit de toutes les formations, la plupart des gens se trouvent démunis face aux émotions (aux leurs ou face à celles des autres).
Parce que d’un côté
✅ on leur a dit que les émotions avaient toute leur place en entreprise. On parle d’ailleurs intelligence émotionnelle : décrypter les émotions présentes permet de comprendre ce qui se passe sous l’iceberg. Cela semble intelligent en effet
Mais d’un autre,
🤷♂️ chacun aura constaté que quelqu’un qui baigne dans son émotion est comme bloqué dans son propre labyrinthe mental. Et ça semble tout sauf intelligent ça, n’est-ce-pas ?
Alors, dit un peu vite, les émotions rendent-elles plus cons ?🧐 Sont-elles désirables ? Qu’en faire ?
Dans ce post, ma perspective disruptive sur le sujet.
Si vous en avez (des émotions) en le lisant (cet article), je vous invite à prendre le temps d’exprimer votre point de vue en commentaire et à décrypter ce que cette lecture a déclenché en vous.
Je me réjouis que l’intelligence émotionnelle ait été popularisée au début des années 2000 par Daniel Goleman. Descartes et le rationnel fonctionnent bien en théorie, mais il se trouve que nous ne vivons pas en théorie et que nous sommes traversés par des émotions. D’où l’importance de s’y intéresser.
Mais la prise en compte des émotions s’est muée en une véritable course aux émotions. Et c’est là que réside le problème.
Pour démarrer : qu’entend-on par intelligence ?
On parle souvent d’intelligences multiples (émotionnelle donc, mais aussi rationnelle, spatiale, relationnelle, etc.).
Quelle que soit l’intelligence considérée, pour moi il s’agit de la capacité à (s’) adapter (à) son environnement.
Et les émotions, d’où viennent-elles ?
Une émotion fonctionne comme un filtre sur le réel, une histoire qu’on se raconte.
L’émotion est subjective et nous le constatons tous : à un événement donné, nous réagissons chacun dans notre fort intérieur de manière différente.
Elle naît soit d’une interprétation d’un événement passé (c’est bien / mal, plaisant / déplaisant, juste / injuste, etc.). Et dans ce cas c’est un jugement, doublé d’une rumination.
Soit d’une projection d’un événement à venir. Cela peut-être la peur par exemple (qui fonctionne dans notre esprit comme la certitude d’un événement pourtant incertain) et de sa face cachée : l’espoir. Car comme le dit le philosophe André Comte-Sponville : « là où il y a de l’espoir il y a de la crainte » (que mon espoir ne soit pas satisfait).
Dis autrement, et pour reprendre les mots du maître spirituel indien Svâmi Prajnânpad, l’émotion naît du refus du réel. La clé ? Accepter. Non pas se résigner. Car quand j’accepte le réel, je peux alors m’y ajuster ou le modifier lorsque cela est possible et désirable.
Et que se passe-t-il si je refuse l’émotion ? Puisque le refus mène à l’émotion, le refus de l’émotion l’amplifie. D’où les crises soudaines lorsque les individus planquent leurs émotions au fond de leur « cave intérieure » et les enferment à double tour en espérant les empêcher de se manifester (peur de « sortir de ses gonds », colère de ne pas se maîtriser, etc.).
Il s’agit donc d’accepter / accueillir l’émotion quand elle est là.
La grande escroquerie pour expliquer les émotions
Les ouvrages sur les émotions partent très souvent d’un exemple du type : « Imaginons que vous traversez la rue. Un bus se dirige vers vous à pleine vitesse ; la peur vous traverse et produit des réactions biologiques qui vous permettent de plonger rapidement sur le côté. L’émotion, habile conseillère, vous a sauvé ». Puis l’exemple est généralisé aux événements du quotidien.
Séduisant mais hors sujet me semble-t-il ! Déjà parce que lorsque dans une situation de ce type vous plongez pour éviter un danger, ce sont vos réflexes de survie qui vous guident. Ce n’est qu’après coup que vous vous dites « oh qu’est-ce que j’ai eu peur ! » (et heureusement que vous n’avez pas baigné dans votre peur au moment critique, sinon vous seriez probablement resté pétrifié).
Et surtout car les dangers vitaux sont très rares aujourd’hui (tout sapiens que nous sommes, il est rare de rencontrer un tigre à dents de sabre au coin de la rue) ; et puisque notre cerveau prend ses rêves pour des réalités (vos rêves paraissent si réels, non ?), est-ce bien judicieux de l’écouter lorsqu’il se perd dans des peurs fantasmées, les considérant comme des risques vitaux ?
Autre poncif sur les émotions : émotions vient du latin e-motere, soit littéralement sortir (ex) et motere (agir) ; l’émotion serait donc le moteur de l’action.
Oui, à ceci près que si on colle à cette définition, cela correspond à réagir plutôt qu’à agir en conscience. Or, comme l’exprime Frankl : « il y a un espace entre le stimulus et la réaction. Dans cet espace résident notre liberté et le pouvoir de choisir notre réaction » ; s’associer à son émotion réduit cet espace tandis que, comme le dit Chad Meng Tan (créateur du programme Search Inside Yourself de Google – siyli.org) : « le propre d’un esprit calme et clair est d’agrandir cet espace ».
Et pourtant, prendre en compte les émotions rend plus intelligent…
Quand une émotion apparaît, elle dit quelque chose de nos préférences.
Dans la littérature classique sur les émotions (notamment selon l’approche de la Communication Non Violente), on parle de besoins et non de préférences. Je trouve personnellement la notion de « besoin » trop rigide et limitant vis-à-vis de soi-même (puisque c’est un besoin, je ne peux pas m’en passer ou tout au moins « faire avec » ce qu’il y a au présent) et presque violente vis-à-vis de l’autre (comment peut-il me refuser ce que je demande alors que c’est un besoin ?).
La préférence quant à elle parle de là où j’en suis compte tenu de mon histoire.
Donc quand une émotion surgit, je peux constater que quelque chose ne me convient pas et, soit « lâcher » ma préférence pour mieux vivre avec le réel, soit influencer sur le réel pour le modifier selon la préférence.
Dans les 2 cas, il s’agit de passer du cerveau de l’émotion (le limbique) au cerveau du langage et du conceptuel (le cortex) ; c’est à ce moment-là qu’on parle d’intelligence émotionnelle. En constatant et en énonçant intérieurement ce qui me perturbe, je peux déjà mieux le comprendre et donc le vivre / l’accepter ; en communiquant avec l’extérieur de manière claire sur mes préférences, je peux tenter de faire rentrer le monde dans mon cadre de (p)référence.
Prenons l’exemple suivant : mon interlocuteur a un style de communication très direct et sa qualité d’écoute est limitée ; cela pourrait éveiller en moi de la peur (car je trouverais la communication agressive), de la tristesse (car selon mes repères nous n’aboutirons pas à un dialogue constructif et harmonieux) ou encore de la colère (car je considère qu’agissant ainsi, l’autre ne me respecte pas). Plus je serai précis (j’aime dire : autant qu’un chirurgien !) dans l’observation de ce qui se passe en moi, ce que je ressens, ce que je me dis intérieurement, plus je vais être à même de pouvoir proposer un nouveau contrat relationnel clair à mon interlocuteur. Ou pourquoi pas cesser la conversation si celle-ci ne me convient pas en l’état et que mon interlocuteur ne souhaite pas s’adapter à mes préférences.
…Mais les émotions nuisent à l’intelligence
Les neurosciences montrent qu’être pris par une émotion dégrade 3 dimensions clés :
La mémorisation (c’est le cas des étudiants qui ont un « blanc mental » pendant un examen)
La concentration (notre « stock » d’attention étant limité, la « bande passante » consommée par l’histoire que l’on se raconte - l’émotion donc – réduit notre capacité attentionnelle destinée au réel, à ce qui nous entoure)
La lucidité, ce qui est une lapalissade car être lucide c’est voir clair, or justement l’émotion vient déposer un voile sur notre perception du réel
Résumons à ce stade : quand une émotion est là, la masquer / la refuser l’amplifie. Donc il s’agit de l’accepter sans pour autant « baigner » dedans, en étant plutôt observateur de cette émotion pour identifier en quoi le réel nous pose problème et évaluer si nous pouvons changer ce réel ou si nous devrions plutôt « lâcher » nos préférences.
Au final, les émotions sont-elles désirables ?
Il ne s’agit pas de juger si ressentir une émotion est bien ou pas, car quand une émotion est là, elle est là. Et bien sûr, nous vivons tous des émotions qui apparaissent de manière spontanée.
Mais est-ce désirable ou non ? S’agit-il de les rechercher, de faire la course aux émotions ?
Notre cerveau étant surdoué dans sa capacité à imaginer (et donc à raconter des histoires, donc à générer des émotions), le « droit » à être émotif peut ouvrir une boîte de Pandore pour certains.
C’est ainsi que la plupart des humains (en tout cas dans la culture occidentale que je connais) sont addicts aux émotions : elles sont recherchées (pour « se sentir vivant ») et vécues le plus intensément possible. Or, puisque émotions « agréables » et « désagréables » sont les deux faces d’une même pièce, en cherchant à maximiser l’une (disons prendre du plaisir, être joyeux), je créé le potentiel de l’autre (crainte, déception).
C’est pourquoi vouloir d’un côté vivre des émotions positives fortes et d’un autre méditer afin d’être capable de se dégager de ses pensées / émotions désagréables semble paradoxale et même voué à l’échec.
Rafaël Nadal illustrait plutôt bien cette idée de neutralité ou en tout cas de stabilité émotionnelle en déclarant le 27 février 2022 après 15 victoires consécutives : « Je ne me sens ni très spécial quand les choses vont bien, ni très malheureux quand elles vont mal ».
On assiste aussi à une confusion entre hypersensibilité (capacité fine à observer les différences / les subtilités de l’environnement) et hyperémotivité (déclenchement d’émotions quand des différences apparaissent entre ce que je préfère et ce qui est). S’il semble désirable d’être en capacité de percevoir avec finesse son environnement, en quoi être submergé par les émotions l’est ?
Ce que je crois en tout cas, c’est que dans le sport de haut niveau, les émotions ne sont pas désirables : elle viennent dégrader la performance. Que ce soit pour tirer un pénalty, jouer une balle de break, et tout simplement pour exprimer son jeu de manière fluide. Les émotions nous font grésiller, les émotions nous font dérailler.
Et pourtant, nombreux sont les sportifs de haut niveau à dire que ce sont pour des moments « comme ça » (comprendre « des moments où la foule est en effervescence et où l’émotion est à son comble ») qu’ils s’entraînent si dur. Il semble alors que se nourrir / se laisser traverser par l’énergie qui circule permet de faire rayonner sa propre énergie. Je distingue donc ici émotion (histoires qu’on se raconte) et énergie.
Par ailleurs, quand on creuse un peu, le point commun de tous les sportifs est l’état qu’ils recherchent quand ils sont dans l’action. Un état d’immersion totale au cours duquel les pensées (et donc les émotions) n’ont pas de place. Un état de pleine présence à soi et au monde.
Et la joie bordel ?!
Là encore, il me semble qu’il y a confusion.
La joie n’est pas une émotion (en tout cas pas au sens où j’en parle dans cet article), c’est notre état d’être naturel.
C’est un état de sérénité, d’ouverture (l’énergie circule), de créativité naturelle (émergences spontanées et ludiques). C’est l’état que vous ressentez quand vous êtes juste bien dans votre corps, dans vos pompes, et que votre esprit cesse pour un moment de vouloir tout contrôler (par exemple quand vous êtes totalement immergés dans une activité ou encore quand vous contemplez la nature ou une œuvre d’art ; vous vous sentez alors « reliés », c’est-à-dire que vous laissez la vie vous traverser).
Ce que l’on nomme joie au quotidien correspond souvent à :
Un soulagement. Ouf ! J’espérais ceci et je l’ai eu ; en réalité j’étais tendu vers mon espoir et comme ça s’est réalisé je suis soulagé
Une excitation. C’est lorsque je vis en avance une situation qui me plaît (« Je suis super heureux / excité à l’idée des vacances à venir)
Et on en revient aux éléments qui génèrent les émotions : je jugement du réel ou la projection dans le futur.
Mais l’empathie c’est bien quand même, non ?
L’empathie est la capacité à écouter l’autre sans le juger, à accueillir son cadre de référence. Le piège est le suivant : vous faire aspirer par l’émotion de l’autre (tout seul on y va vite, à deux on va plus loin…dans l’émotion !).
Alors, que faire quand l’autre baigne dans son émotion ?
Non pas ressentir. Car comment pourriez-vous aider l’autre en laissant l’écho de son émotion jaillir en vous ?
En faisant comme pour vous : prendre en compte, accueillir l’autre dans sa totalité, émotion incluse. Concrètement : mettre l’émotion au cœur du dialogue, aider à discerner ce qui se joue intérieurement pour que l’autre puisse se reconnecter à son état d’être naturel en traversant son émotion.
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